Le petit ours en peluche repose sur ma table de nuit, une cicatrice de fil sur la poitrine. Il avait un cœur de nacre. Je voulais te l’offrir, mais il s’est perdu et je ne l’ai pas retrouvé.
Cette nuit j’ai dormi profondément. C’est sur le matin que j’ai rêvé de toi. Nous étions dans ta voiture et tu te penchais sur moi pour que je t’embrasse. Je posais délicatement mes lèvres sur les tiennes, tout en retenue, car je te sais rétive à mon hommage. Je gardais les yeux ouverts et je contemplais tes abondants cheveux sombres, ton visage d’oiseau affolé, tes paupières closes sur tes yeux de chat… puis je tentais de glisser ma main sur ta taille, à même ta peau, mais tu te rétractais et me repoussait. « Je dois y aller maintenant », disais-tu et tu me laissais. Tu te dirigeais vers une boutique où tu travaillais comme vendeuse sous la surveillance d’une matrone qui ne t’aimait pas. Je me glissais dans ce magasin de lingerie et j’y achetais des bas. Puis je me dirigeais vers la caisse. « Bonjour Mademoiselle, me disait la préposée… » C’est à ce moment que je me suis réveillée.
Elodie, Elodie… depuis deux années que tu es entrée dans ma vie, je ne me connais plus.
Je te revois m’ouvrir la porte de cette école de dessin où j’avais décidé de m’inscrire. Timide et accueillante tout à la fois, tu portais une robe noire qui moulait ton corps, tu volais plus que tu ne marchais. Tu avais été si attentionnée pour moi. Au début, tu m’envoyais des textos appuyés pour m’encourager à mon travail. Puis tu m’as invitée au cinéma et tu m’as parlé de tes déboires amoureux, tu en avais marre de ces hommes tous pareils… Tes gestes étaient amples et vifs, ton sourire affichait de petites dents pointues. On parlait trop fort dans les bistrots, mais personne ne nous regardait. Un jour au moment de se quitter, le bisou a dérapé… Alors tes yeux ont brillé comme deux étoiles dans un ciel vert. Et juste après il y a eu ce repas de Noël au restaurant, toutes celles de notre cours de dessin étaient là, et toi tu t’es assise à côté de moi. Il faisait sombre. L’ambiance était animée. A un moment, j’ai senti que ma jambe me chatouillait sous la nappe et je n’ai pas compris que c’était ta main, un peu maladroite, qui cherchait la mienne. Ou alors je n’ai que trop bien compris et je n’ai pas osé la prendre. Cela ne te démonta pas. Lorsque je déclarai : « J’aime qu’un homme soit doux », tu répondis, le regard en invite, le visage incliné : « Il y a d’autres douceurs… ».
Mais de ce jour tout bascule. C’est moi qui t’invite au cinéma, c’est moi qui t’écris : « J’ai envie de ta douceur ». Toi tu reportes, tu trouves des excuses et finalement nous n’y allons plus. Terminées nos sorties à deux. Je ne t’invite plus car je sais que je n’aurai plus de réponse. Au cours tu me lances des moqueries, des plaisanteries vachardes et mon cœur saigne. Je tiens mes distances. J’ai pris mon courage et je t’ai mordue à mon tour. Tu ne t’imaginais quand même pas que j’allais te laisser me maltraiter. Alors depuis, c’est le froid de l’hiver. On s’évite. Je me dis que je devrais trouver un autre cours, mais je ne me décide pas. Je ne vais pas fuir devant toi. Tu as annoncé que tu étais en couple, tu clames ton bonheur. Je ne sais même pas si tu es avec un homme ou une femme. Un homme j’imagine, c’est plus facile. Cela ne me regarde pas. C’est fini.
Chaque soir, au moment de me coucher, je vois l’ours en peluche que j’avais pensé t’offrir et je pense à toi. Lui aussi je devrais le remiser. Mais je ne le fais pas. Il n’a plus qu’une cicatrice trop visible. Cela me servira de leçon, on n’offre pas son cœur de nacre à la première venue.
J’ai raconté cette histoire à mon meilleur ami et il m’a dit : « Oublie-la, c’était une chipie, une allumeuse qui voulait tester son charme. Trouves-en une autre !». Il a raison, et en même temps il ne comprend pas. Comme si tu pouvais être remplacée. Je t’ai aimée Elodie. Je guéris de toi un peu plus chaque jour. Il n’y a que ces rêves qui te ramènent encore vers moi comme des étoiles sur le rivage de ma conscience.
Un thème que je ne saurais aborder personnellement, un peu parce que j’y suis mal à l’aise mais aussi, sans aucun jugement, parce que je ne me retrouve pas dans ce type d’attraction. Mais j’ai aimé, beaucoup aimé la discrète peine – acérée pourtant – que tu évoques… j’ai pensé au film Carol, peut-être parce que justement, n’étant pas à l’aise dans ce genre, je m’y suis promenée avec uniquement l’amour comme fond, sans rien me demander d’autre.
Il y a une tristesse pointue ici, presque enfantine, presque d’amies de bancs d’école, et pourtant on y trouve, on le sait… l’âge adulte qui sait décider.
Bravo!
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Merci Edmée d’avoir su apprécier même si ce thème ne t’inspire pas.
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Je ne dirais pas qu’il ne m’inspire pas, mais tout simplement que j’y suis mal à l’aise en général, et par conséquent je ne cherche pas nécessairement ces sujets en cinéma ou lecture. Mais je ne les fuis pas, puisque je suis allée voir Carol en sachant. Et j’ai aimé, vraiment beaucoup aimé, tout comme ton texte 🙂
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Un texte bien écrit, un sujet peu habituel. cela me fait penser à une nouvelle d’un livre que je viens de commenter, Ma voisine a hurlé toute la nuit, d’Anne-Michèle Hamesse.
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Merci pour la visite et le commentaire Carine-Laure ! Oui j’ai entendu parler de ce livre par Edmée (en très grand bien !)
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Un beau texte, j’ai pensé à Colette !
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Merci Marcelle, quelle comparaison flatteuse ! 🙂
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Tout est bien amené. Cet amour « interdit » se révèle d’une manière fortuite (un baiser qui dérape) puis plus précise (il y a d’autres douceurs). Mais quand l’héroïne veut aller plus loin, l’autre se cabre et recule. Eternel problème de l’amour, quand il n’est pas l’unisson au même moment. Quel que soit le sexe des protagonistes, finalement.
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« Quel que soit le sexe des protagonistes ». J’ai beaucoup aimé cette réflexion. L’amour n’est-il pas l’amour ?
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Beau texte ! Et j’ai envie de dire « enfin! ». L’homosexualité est encore tabou quoiqu’on dise. En même temps quand elle est acceptée, elle est presque idolâtrée dans le sens où les amours se doivent d’être parfaites. Eh bien non ! Et tu le démontres ! Les sentiments amoureux sont les mêmes et la manipulation existe aussi ! Ce type de texte normalise et c’est bien ! Voilà pour la forme. Pour le fond et je restreins parce qu’il est très riche, en exemple je parlerai du petit ours en peluche blessé et perdu qui est très symbolique. J’espère qu’elle le retrouvera pour enfin grandir en perdant quelques illusions mais en vivant mieux 🙂 En tout cas, chapeau bas pour cette nouvelle !
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Merci Noëlle pour ce chaleureux commentaire ! Et je partage votre réflexion, l’homosexualité reste un sujet tabou…
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Mais n’est-ce pas un sujet tabou parce qu’il semble n’indiquer que le sexe? Je ne dis pas que c’est le cas, j’ai des amis homos qui d’ailleurs, avec le temps, ont éteint leur sexualité, et s’aiment. Mais « les autres » associent homosexualité à une sorte d’appétit sexuel insatiable, pervers. Comme si être gay était avoir des besoins illimités 🙂 On ne sait pas ce qui se passe dans un couple, gay ou pas. Le sexe n’a pas toujours la place qu’on dit qu’il a…
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J’avoue ne pas en avoir l’expérience, mais à mon sens il y a autant de différences chez les couples homos que chez les hétéros en matière de sexualité.
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J’ai ressenti beaucoup de douceur à la lecture de ce texte. J’ai aimé .
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Merci Annie.
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