Un mystérieux correspondant

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Il porte un prénom étranger,  d’une langue qu’elle ne maîtrise  pas.   Il n’affiche pas de photo.    Elle ne le connaît que par ses mots.

Il tient un blog littéraire où il écrit des poésies qu’elle trouve sublimes de mélancolie.    Elle s’y est abonnée.     Elle attend ses commentaires sur son propre blog,  mais ils sont rares.

Qu’est-ce qui justifie cette attirance qu’elle éprouve pour lui ?   Le mystère dont il s’entoure,   l’intelligence de ses paroles ?   La beauté de ses poésies ?   Leur mélancolie ?   Elle y voit comme un reflet de la sienne.     Elle aime cette distance entre eux.    Elle ne voudrait pas le connaître mieux.    Elle serait immanquablement déçue.     Les hommes la déçoivent tous maintenant.     Elle ne connaît plus le sentiment amoureux et s’il  lui arrive encore l’ombre d’un émoi,  il cesse rapidement.    Elle est devenue trop affûtée avec le temps,    elle devine  les petits secrets de ces messieurs,  leurs médiocrités.     Alors toute magie cesse  avant  de s’être épanouie.    Tandis qu’ici…    elle ne sait rien et ne peut donc rien deviner,   si ce n’est cette mélancolie,   cette élégance du verbe,   cette noblesse  de la pensée…

Il assortit chaque poésie d’une œuvre d’art,   une peinture abstraite d’un artiste japonais.    Ses vers sont minéraux ou appartiennent au monde végétal.   Ils sont baignés d’une lumière lunaire.    On le dirait venu d’une autre planète ou au contraire faisant partie totale de cette terre,   partageant sa minéralité,    ses mains n’étant que le prolongement de racines elles-mêmes ancrées dans le sol.      Il a un univers si personnel qui l’attire d’autant plus qu’elle est fascinée par la lune et les arbres qui s’enlacent dans une clarté diaphane.   Elle aime contempler ce spectacle la nuit dans sa chambre en se demandant ce qu’il regarde à cet instant.

Le savoir là quelque part induit une paix radieuse en elle.     C’est tellement différent des passions qu’elle a pu connaître  naguère.    Ce calme,  cette sérénité sont un bienfait.   On dirait que la jeunesse lui est revenue comme une vague douce et chaude.   Elle n’attend même pas son prochain commentaire,    sa prochaine publication.      Un jour elle recevra un mail et il y aura une sorte de message qui ne la bouleversera pas  mais l’emplira de gratitude pour la beauté de ses mots toujours si parfaits.      Sur sa photo de profil,    il  y a un loup.      Comme cela lui ressemble.   Est-il humain ?     Cette osmose avec la nature lui apporte une assise pour ses pas.    Elle regarde le lierre aux troncs différemment.  S’il y a attachement dans ses vers c’est entre la mousse et le banc,  entre le lichen et la pierre,    entre la branche et l’arbre.

Un jour pourtant quelque chose l’a agacée.    Il a mis ses adjectifs au féminin.    Erreur d’inattention ?   Cela ressemble si peu à son perfectionnisme.    A-t-il voulu se glisser dans la peau d’une femme ?    Voilà qui lui déplaît.   Elle gomme tous ces « e » et tout rentre dans l’ordre.    Enfin presque,  le tableau n’est plus parfait.

Les poèmes qui suivent sont à l’image de ceux qu’elle connaît,   elle y retrouve le même univers où elle aime se baigner,  où elle se sent chez elle.      Oui elle se sent comprise par cet homme.   Tout ce qu’il évoque lui parle,   il dit ce qu’elle aurait voulu exprimer sans jamais y parvenir.     Comment peut-il la comprendre si bien ?      Un jour  il a mis un « j’aime » sur un des articles de son blog.    Evénement.   Tiens il a changé son avatar.     Le loup est devenu un personnage de manga.    Elle n’y prête pas attention.   C’est si petit.    Et puis,   poussée par la vieille envie de savoir,  elle clique sur l’image et découvre …    un visage féminin…

Elle est bouleversée.    Son socle d’harmonie vient de voler en éclats.    Elle fait une recherche et découvre que son correspondant est en fait une correspondante.    La magie a disparu.    Le monde vient de retrouver sa morosité.     Mais reste une question qui se dessine peu à peu,   pourquoi une telle attirance pour une femme ?

 

6 commentaires sur « Un mystérieux correspondant »

  1. Sans doute parce que la femme laisse filtrer des pensées féminines, qui lui ressemblent, la dépeignent aussi. Et voilà… il suffit de peu parfois pour croire que toute séduction est forcément signe d’amour 🙂

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  2. Sa solitude lui fait inventer une relation de couple homme/femme, a-t-elle peur de ce qu’elle vient de découvrir, du bonheur qu’elle pouvait ressentir par rapport à cette inconnue…

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