On sonna à la porte. C’était le facteur qui lui apportait un colis. Elle lui fit son plus joli sourire et emporta son trésor. Elle déballa.
Elle venait de s’acheter un chapeau. Quelle folie ! Elle n’en avait jamais porté. Ce n’était plus le temps, c’était osé. Mais elle était à une étape de sa vie où elle osait : chapeau aux vastes bords, poncho, jeans moulants, bottines… Elle aimait se donner un look. Elle y trouvait grand plaisir. Il y avait aussi ce béret prune. Pourquoi pas un béret pour les sorties plus simples ?
Elle avait fait régime, elle faisait du sport, elle avait retrouvé une silhouette de jeune fille. Et elle en profitait. Elle avait une sorte de compulsion à s’offrir des vêtements qu’elle achetait en ligne pour mieux les choisir et les essayer longuement chez elle dans des séances délectables où elle se mirait devant les différentes glaces de la maison. Elle prenait son temps, changeait de chaussures, de sac. Comment cette robe se porterait-elle ? Avec son nouveau chapeau ? Et puis elle se pavanait très chic dans la maison. Quel plaisir ! Elle porterait cette tenue demain au restaurant avec son amie. Elle se réjouissait de sa surprise. Elle avait confiance, en elle et en l’autre. Comme c’était bon la vie ! Elle aimait se promener dans les campagnes avec son chien, le voir s’ébattre, faire des bonds : il avait une joie si évidente qu’elle était communicative. Ah ces petits matins d’automne où la jeune buse de l’année s’envolait à quelques mètres d’elle, le soleil encore chaud qui filtrait à travers la brume et parait la végétation de diamants, cette rosée blanche qui scintillait sur les prés et faisait un habit rutilant aux champignons. L’air qu’elle respirait l’exaltait, le vin qu’elle buvait l’enivrait. Sa joie de vivre était exacerbée, de même que son besoin de se montrer, d’être regardée …
Elle se rappelait une compagne de classe de sa fille. Son père se mourait d’un cancer. Il avait une silhouette racornie et un teint de papier. La mère par contre affichait des allures affriolantes. Elle portait des jupes très courtes, déplacées sur ses grosses cuisses, des décolletés plongeants malgré l’hiver et un maquillage forcé : yeux charbonneux, bouche écarlate. Mais son visage témoignait d’une grande détresse. Elle voyait rarement le couple ensemble, mais le contraste la laissait dans l’expectative.
Aujourd’hui elle comprenait que cette femme se raccrochait à la vie. Elle clamait le désir de vivre de tout son corps alors que son mari s’évaporait.
Elle tourna la clé dans la serrure et rentra de sa balade avec le chien, le corps et l’esprit alertes. Elle flatta le jeune chien qui s’ébrouait. Son mari était avachi dans un fauteuil. Il somnolait, le cheveu gras, le visage couvert d’une barbe négligée. Elle savait qu’il resterait ainsi tout le jour, emmuré dans ses pensées sombres, indifférent à tout, qu’il ne sortirait de cet état que pour crier sa colère et ses rancœurs devant le ronronnement de la télévision. EIle, il ne la voyait plus alors qu’elle était belle, il ne l’entendait plus alors qu’elle chantait. Elle avait tout fait pour l’aider, en vain. Ainsi chez elle aussi la vie se défendait face à cette débâcle, à ce gouffre sombre et béant qu’elle côtoyait chaque jour, à ce corps qui s’allongeait à côté d’elle chaque nuit tel un gisant.
Elle but une tasse de ce thé au parfum de bruyère que son fils leur avait rapporté d’Ecosse, puis elle s’assit devant l’ordinateur et posta une photo d’elle sur facebook, une photo dans sa dernière tenue qu’elle avait prise elle-même en plaçant l’appareil sur un trépied et en enclenchant le retardateur.