Elle s’est installée dans la plus belle villa du quartier, après que l’épouse légitime s’en soit allée. Elle a pris sa place sans coup férir, après s’être fait prier pour quitter son cagibi miteux. Elle promène sa silhouette effilée en tournant gracieusement sa tête ornée de longs cheveux blonds qu’elle teint soigneusement pour qu’il n’y ait jamais de repousse. Elle ne se gêne pas pour mentir et dire qu’elle est naturellement blonde. Elle a les yeux très bleus et le teint hâlé grâce à ses séances de banc solaire.
C’est une revanche pour elle de revenir dans ce quartier où elle a grandi, enfin, pas tout à fait, elle a grandi dans la cité ouvrière toute proche, dans une famille d’accueil où les filles étaient râblées et les garçons vulgaires. Elle s’est toujours sentie différente et lorsqu’elle a appris qu’on était allé la chercher à la pouponnière, cela n’a fait que confirmer sa croyance. Peu assidue aux études, elle n’a pas décroché de diplôme, son salut devant lui venir de sa naissance et de l’arrivée du prince charmant qui lui donnera enfin ce qu’elle mérite : or, bijoux, adulation … Elle a soigneusement ajusté sa mini-jupe, ouvert son corsage juste ce qu’il faut et s’en est allée tourbillonner devant les fils de famille, aux poches bien garnies. Et un bellâtre, sensible à sa beauté ostentatoire, l’a remarquée et s’est laissé embobiner au point de l’épouser.
Seulement voilà, quand la porte se referme et que les masques tombent, elle n’a plus grand-chose à offrir. Aussi au bout de quelques temps, le bellâtre, cet enfant gâté, qui voulait faire d’elle son trophée, s’en alla respirer d’autres parfums. Et cocue, elle se retrouva au grand plaisir de ses beaux-parents qui n’avaient jamais approuvé que leur fils élevé avec le plus grand soin marie cette arriviste sans éducation. Aussi furent-ils ravis de la voir divorcer et s’en aller, pleine d’orgueil bafoué, sans la moindre pension alimentaire. Retourner vivre chez ses « parents » était impensable. Elle ne s’était pas privée de les traiter de haut durant son mariage et même avant. Ils devaient ricaner maintenant de la savoir à la rue. Elle n’eut d’autre choix que de se trouver un travail, ce qu’elle fit sans trop de difficulté, car elle était jolie, séductrice et ses quelques années de mariage dans un « bon milieu » lui avaient appris les manières. Elle devint donc vendeuse dans une boutique de vêtements de luxe pour hommes. Et bien sûr se remit en chasse d’un prince charmant digne de ce nom, ajoutant à son scénario de princesse égarée, celui de princesse trahie. Certes elle était à nouveau en contact avec des hommes aisés, cependant, mine de rien, les années avaient passé, et les proies les plus désirables avaient été capturées. Mais il en fallait bien plus pour la démonter, elle aurait ce qui lui revenait de droit, dût-elle l’arracher à une autre. Il lui fallut quelques années, des années où elle accumula de la rancœur, où elle devint princesse victime du mauvais sort, pour prendre dans ses filets une proie de choix, enfin de son choix, qui sans qu’elle n’en ait conscience ressemblait comme deux gouttes d’eau à son ex-mari, un autre bellâtre plus attaché aux apparences qu’aux véritables qualités humaines. Ainsi, il délaissa pour elle épouse et enfants, du moins c’est ce qu’il lui dit, et l’installa dans sa luxueuse villa à deux pas de là où elle avait grandi. Elle s’empressa d’abandonner son travail, croyant mener enfin une vie de princesse en son château, vie à laquelle elle avait toujours su qu’elle avait droit. Elle ne comprit pas qu’on lui demandait seulement d’être une potiche à exhiber, un matelas confortable pour la nuit et une soubrette en talons hauts pour la journée. Et tout vira de nouveau à l’aigre sur base d’un malentendu fondamental. En trois ou quatre ans, elle se retrouva à nouveau à la rue et s’offusqua de la lettre que son compagnon – il s’était bien gardé de l’épouser – adressa aux services sociaux pour qu’elle obtienne logement et allocations. « Il me tue », s’écria-t-elle, face au texte de cette lettre qui lui renvoyait l’image de ce qu’elle était et non pas de ce qu’elle imaginait être. La lettre disait ceci : « Pouvez-vous faire rapidement le nécessaire pour Madame X, une femme sans formation, sans ressources et sans logement, se retrouvant dans une situation de grande précarité. »
Elle réussit à échapper au « logement social » grâce à la naïveté d’une amie qui lui loua un studio pour une bouchée de pain. Avec de l’argent grappillé on ne sait où, elle s’acheta un cabriolet rutilant qu’elle exhibait en se promenant, affublée de lunettes de soleil et d’un foulard telle Grace Kelly sur la corniche. Bien sûr elle partit pour un troisième tour, un quatrième… Cela tournoyait de plus en plus vite si bien qu’elle finit par s’accrocher à son boulot et à son logement. Celui qui la voudrait devrait d’abord lui passer la bague au doigt et lui signer un contrat en béton. De sorte qu’elle vieillit maintenant seule dans un petit appartement, avec un petit salaire. Elle se console chaque soir de l’idiotie des hommes avec une bouteille de whisky. Elle a compris que le prince charmant ne viendrait plus, mais ce n’est quand même pas pour cela qu’elle épousera ce petit veuf bien propre, retraité des postes, qui lui a fait sa demande. Elle n’est quand même pas tombée si bas !
Ha ha… Je n’ai pas connu celle-là mais un de ses cousines sans doute… Finalement c’est assez moral qu’une personne qui mise tout sur ses appâts uniquement ne plaît que pour ceux-ci, et quand les appâts n’appâtent plus, qu’on s’empâte vieillit, le conte finit par Et le Prince la quitta pour une plus jeune et elle n’eût plus que son passé à regarder…
Na!
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Des cruches comme elles il y en a dans tout les milieux.;-)
Les filles des milieux aisés n’ont pas l’apanage de l’intelligence, elles font souvent des mariages arrangés et vieille et cocue boivent aussi du whisky ( en cachette) 😉
Quand les femmes attendent tout de l’homme (c’est mal parti) hi hi hi
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Bien sûr Marcelle, tu as raison, comme d’habitude !
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Je note en passant la technique narrative : le récit commence « in medias res », puis on remonte le temps (et les conquêtes), pour repasser par le début de l’histoire et nous conduire jusqu’à la fin.
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En effet Jean-François, j’aime commencer mes récits « in media res », par contre mon prochain roman sera linéaire. Merci de tes interventions.
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Une cruche certes mais qui peut faire des dégâts en détruisant une famille…Mais attention , chacun a son libre arbitre….je pense à vous messieurs bien entendu!!!
( sans rancune) ce n’est que de la littérature!!!
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Oui ce personnage n’a aucune morale, vous avez raison de le souligner. Elle est dans son trip et il n’y a que ça qui compte.
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Merci pour ce conte de fées moderne. Je vais fureter sur votre site pour découvrir votre travail. A bientôt
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Merci pour votre visite et votre commentaire. J’espère que vous aurez du plaisir à lire mes courtes nouvelles.
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Beaucoup et je m’abonne pour mieux vous retrouver.
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