La femme, l’homme et le chien

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Elle et son chien c’est une histoire de complicité et d’amour.   Elle le sait,  le chien le sait.   Ce qu’elle ignore c’est qu’elle s’y révèle.

Elle est assise au milieu d’un groupe de connaissances,  en vacances,  et s’occupe de son petit chien.   L’homme la regarde sans qu’elle  s’en aperçoive,  trop affairée à caresser son chien qui jappe,   puis saute sur ses genoux et reçoit plein de câlins.   Elle le chatouille innocemment là où  il aime, sur le dos,  derrière les oreilles,  sans se douter qu’on la fixe…

C’est lorsqu’elle relève la tête qu’elle voit le regard de l’homme,  son visage.   Il est noyé,  ébaubi.   Elle ne comprend pas pourquoi.   Il voit qu’elle s’étonne.   Il se reprend,  détourne les yeux.

C’est un homme déjà âgé,  très sévère.   Il a occupé pendant de longues années un poste de direction dans une organisation internationale.   Ils ont sympathisé par hasard,   ces hasards qui font que des femmes sans importance  rencontrent des hommes brillants et les attirent,  même s’ils le cachent.

Depuis ce jour-là, elle s’est rendu  compte qu’il la scrutait.   Discrètement,  de loin.    Il est vrai qu’il est marié à une femme aussi brillante et sévère que lui.

Le chien devient un objet transitionnel entre eux. Il la salue brièvement et s’adresse au chien : « Bonjour,  Bill,  comment vas-tu aujourd’hui ?   C’est quoi ton programme pour la journée ? »

Il est très curieux  d’elle,  mais ne veut pas le montrer.   Elle sent son regard sur elle,  mais dès qu’elle lève la tête,  il s’éloigne.

Lorsqu’elle rentre le soir,   il est là à questionner Bill : « Alors Bill,  ça s’est bien passé aujourd’hui ? ».   C’est elle qui répond bien sûr. Elle n’y voit qu’un jeu anodin.

Il a une chienne qui s’appelle Zarka,  une grande chienne de berger qu’il mène d’une main ferme.  Il n’y a pas entre eux ces mouvements généreux,   ces embrassades déjantées,   cette folie d’amour qu’il existe entre Bill et elle.   Du moins pas en public.   Elle a appris que la chienne dormait avec lui.    Il s’est mordu la lèvre après avoir laissé échapper ce détail.   Il n’a pas l’habitude de parler de son intimité.    Elle a ainsi compris que lui et sa femme faisaient chambre à part.   Voilà qu’elle commence à s’intéresser à lui.   C’est émouvant quand un homme a les yeux qui se noient en vous regardant.

Ce jour-là  elle  rencontre dans la rue un vieux chien de la même race que Bill.   Elle entame immédiatement  la conversation avec  ses maîtres,  tout en s’extasiant sur le chien.    Elle le regarde,  lui parle,   lui fait des mimiques de tendresse,   cela dure cette conquête,  elle prend le temps, elle ne s’approche que petit à petit.  Doucement,   le chien change d’attitude,  il  était blasé au début,  mais tant de chaleur,  tant de sympathie le sortent de sa léthargie.   A un moment il ne résiste plus et se dresse sur ses pattes arrière pour lui lécher les mains.  Alors elle se penche et le couvre de câlins.    Elle ne sait pas  que l’homme est là,  derrière la vitre d’une boutique.    Il a observé toute la scène.

Le soir même il se trahit,   il lui dit qu’il l’a vue,  il lui reproche cette lenteur, cet apprivoisement.   Cela aurait duré dix longues minutes selon lui…    Elle sourit en elle-même.    Elle a compris maintenant croit-elle,   il est amoureux de sa chaleur,  de sa générosité,   il a envie  de ses caresses.    Il ne supporte pas qu’elle soit infidèle à Bill,  s’imagine-t-elle,  c’est ce qui explique son irritation  …

Aujourd’hui les vacances sont terminées depuis longtemps.    Elle repense à cette histoire.    C’est le jour de son anniversaire.   Le téléphone sonne.    Elle décroche.    C’est l’homme.    Il lui demande de ses nouvelles, embarrassé.    Elle répond,  mais bien vite la conversation stagne.   Ils ne se disent que des banalités,  et puis d’un coup, sur un ton paillard, il  lance : « Je suis dans ma chambre,   ma chienne vient de monter sur mon lit,  je la caresse… ».  Il se tait,  il lui cède la parole.    En un éclair elle saisit où il veut  l’emmener et elle se bloque.  Pas comme ça.  Pas si vite…  Il y  a un blanc qui dure comme une rupture.    L’homme clôture alors la conversation.   C’est fini.

Des années plus tard,  elle retourne dans ce village de vacances.  Elle le voit,  mais elle l’ignore.  Il l’a vue aussi et il appelle sa chienne à haute voix : « Zarka ! »,  espérant l’attention de la femme.    Mais elle  ne se retournera pas.

6 commentaires sur « La femme, l’homme et le chien »

  1. Séduction par chiens interposés… Elle préfère savoir que si elle voulait, elle pourrait, ça lui suffit. Et lui, comme le vieux chien, tout à coup il lâche le lest, sa retenue, et oublie qu’il est plus inquiétant qu’un vieux chien.

    Ça m’a aussi fait penser à certaines tribus amérindiennes, les shoshones je pense, où il était interdit à une homme de parler à sa belle-mère (il faut dire que comme tout le monde vivait dans le même tipi, une dispute pouvait peser lourd…). Et donc c’était le chien qui servait de relais. « Dis à la mère de ma femme que je la remercie pour avoir tanné toute seule cette peau pendant que sa fille était souffrante » « Tu diras au mari de ma fille que je lui dois bien ça car il est un bon chasseur »… 🙂

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    1. « C’est émouvant quand un homme a les yeux qui se noient en vous regardant. » Un regard de chien, en quelque sorte :)) Il est d’ailleurs lui-même un peu jaloux du chien qu’elle caresse et tente une approche. En lui reprochant d’avoir mis dix minutes à l’apprivoiser, c’est un peu comme s’il l’invitait à se montrer plus entreprenant à son égard.

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  2. Le regard est une fenêtre ouverte sur notre coeur.
    Cette histoire commence sur une belle espérance, puis on devine une jalousie et le coup grâce c’est la conversation au téléphone, qui n’a rien de romantique.
    Des années plus tard il n’a toujours pas changé. Elle a raison, il ne mérite même pas un regard.

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