Espoir

orchidee-blanche-recadree.

L’orchidée blanche a une place en vue dans le living.   Elle est proche d’une fenêtre au sud,  garnie d’un store qui la protège du soleil trop fort.    Mais  aujourd’hui elle déprime.   Sa floraison se flétrit avant l’heure et ses feuilles sont molles et pendantes.   La femme ne sait que faire pour cette orchidée qu’elle soigne avec amour depuis huit ans.  Elle se désole face à cette décrépitude.

Elle se souvient du jour où elle l’a reçue.   Elle n’avait jamais cultivé d’orchidée et sa fille la lui avait offerte le jour de ses vingt ans tandis qu’elle lui avait fait monter un diamant  sur une chaîne d’or et le lui avait donné en gage  d’amour éternel.   C’était alors une période de paix transitoire entre elles  après les orages qui avaient marqué l’adolescence de cette fille si rebelle.   Elles insistaient chacune pour dire à l’autre qu’elle lui offrait un beau cadeau,  que l’orchidée était une plante rare et chère pour un petit budget,  qu’un diamant sur or blanc renfermait tout l’amour d’une mère pour  sa fille.   C’était cette difficulté à communiquer même dans les bons moments.

Au jardin le jeune chien poursuit les tourterelles.   Elles viennent quérir de la nourriture dans la mangeoire à oiseaux que la mère approvisionne chaque matin.  Il aboie puis pleure lorsqu’elles lui échappent.

 Au cours des années qui ont suivi,  mère et fille se sont vues un temps régulièrement.  La fille arborait fièrement le diamant et la mère s’en réjouissait.   Mais elle passait d’un homme à l’autre et de déception en déception.   La mère se gardait de tout commentaire sur ses choix  amoureux.   Elle avait trop bien appris que tout conseil susciterait l’ire de la fille et qu’elle en prendrait automatiquement le contre-pied.    A cette époque, elle vivait avec un alcoolique qui avait le double de son âge.   Il était divorcé et père de deux fillettes qui raffolaient de cette « grande sœur »,  mais l’homme,  disait-elle, ne pouvait oublier leur mère,  il lui en parlait longuement en buvant.   Elle en avait assez.   Elle allait rompre.   La mère se taisait.   Dans les études de la fille, tout allait  de travers.   Elle faisait la fête chaque jour jusqu’aux petites heures et quand venait le jour de l’examen, elle fumait de l’herbe et  échouait.

La voilà maintenant qui entame une période de célibat. Elle invite sa mère tous les dimanches à boire le thé dans le coquet studio qu’elle lui a loué.   La mère n’aurait pas voulu que sa fille soit mal logée malgré leurs conflits si violents.    C’est elle aussi qui lui a offert ce service à thé, et aujourd’hui elle apporte un nouveau jean.    Mais il y a un froid entre elles,  quelque chose de palpable,  une rancœur que la mère ne s’explique pas.   Elle se rappelle les accusations de sa fille : « tu me maltraites,   tu veux me détruire… »    Ce n’était bien sûr pas le cas.    Que voulait exprimer la fille par ces phrases cruelles ? C’était une incompréhension totale, mais la mère sait que la souffrance de sa fille est bien réelle.

Son célibat s’éternise et elle s’en plaint à sa mère.   Alors celle-ci ose une suggestion : « Pourquoi ne prends-tu pas Godefroid ? »  La fille la regarde et ne dit rien.    La mère se souvient de cet adolescent que sa fille fréquentait avant la crise,  un garçon robuste, équilibré,  avec une grande aisance verbale.    Elle savait qu’il était amoureux de sa fille depuis longtemps, mais qu’elle n’en avait jamais voulu.

Trois semaines plus tard elles se retrouvent comme souvent dans leur restaurant,  celui où a eu lieu l’échange de l’orchidée et du diamant.   La fille arrive très en beauté,  elle porte des vêtements neufs que la mère ne lui connaît pas,  elle a le teint rosé et les yeux fardés.   A son cou,  une pacotille.    La fille est en verve,   joyeuse,  finalement elle avoue : « Je suis de nouveau avec quelqu’un ».   Du tac au tac, la mère répond : « Avec Godefroid ? ».   La fille ébauche un sourire, détourne le visage, mais ne répond pas.

A leur rendez-vous suivant,   elle vient accompagnée d’un grand jeune homme qu’elle ne présente pas à sa mère, car elle sait qu’elle l’a reconnu.

C’est le début d’une nouvelle époque.  La fille retrouve enfin une stabilité émotionnelle.   Recadrée, elle réussit ses études.   Mais lui,  qui habite une ville éloignée,  l’emmène bientôt loin de sa mère…  sans laisser d’adresse.   Elle n’a qu’un numéro de portable qui ne répond pas,   une boîte mail tout aussi muette  et… un numéro de compte.   Leurs visites se feront de plus en plus rares,  au point qu’aujourd’hui elle n’a plus vu sa fille depuis un an.   Elle n’a plus jamais aperçu le diamant à son cou, mais il y en a un à son doigt, qu’elle n’a pas offert.

Le petit chien revient tout joyeux du jardin.   Il attrapera une tourterelle demain c’est certain !    Elle a rempoté l’orchidée qui se meurt.   L’intervention de la dernière chance pense-t-elle.    Sa hampe florale blanche s’élance  comme un chant du cygne.    Mais dans sa décadence,  la plante a produit un rejeton qui s’est révélé vigoureux et dont les feuilles se dressent fièrement dans son pot.    L’espoir ne meurt jamais, se dit la mère.

 

11 commentaires sur « Espoir »

  1. Une fois de plus… un texte court mais qui « fait le tour »… Oui, tant que la fille est à la dérive, sa mère est son seul refuge, même si parfois craint et rejeté. La mère elle-même offre à sa fille la clé de la liberté, et … on n’a plus besoin d’elle. En libérant sa fille elle doit subir sa perte aussi.

    Mais… mais pourtant… l’orchidée s’entête à vivre et dit « tout n’est pas fini »…

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    1. Merci Edmée pour ton commentaire. Comme tu le fais justement remarquer, je n’ai pas besoin de beaucoup de mots pour « faire le tour ». Mon roman est court, mais j’ai l’impression qu’il dit tout ce que j’ai à dire. Défaut ou qualité, j’avoue que j’avais adoré un poème que Marcelle Pâques m’avait laissé et qui disait en quelques lignes encore bien plus que moi dans mon texte court. Pour moi c’est une qualité, exprimer beaucoup avec peu de moyens.

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  2. Edmée a déjà tout dit dans son commentaire. Juste parler du chien, qui n’en finit pas de courir après les tourterelles qu’il n’attrape jamais, un peu comme la fille qui
    court après tous les hommes mais n’en garde aucun (et comme la mère qui court après sa fille qui lui échappe toujours).

    D’un autre côté, les tourterelles aussi sont le symbole de la fille (la mère continue à nourrir les oiseaux mais ils s’envolent et ne se laissent pas prendre, comme la fille qui est entretenue mais est volage et toujours absente).

    A la fin, pourtant, il y a de l’espoir ; le chien finira bien par attraper une tourterelle, comme la mère qui espère que tout finira au mieux et qu’elle reverra sa fille.

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  3. Ce texte me renvoie à un extrait du livre le Prophète de Khalil Gibran

    Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit,
    Parlez-nous des Enfants.
    Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.
    Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même,
    Ils viennent à travers vous mais non de vous.
    Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
    Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
    Car ils ont leurs propres pensées.
    Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
    Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,
    pas même dans vos rêves.
    Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux,
    mais ne tentez pas de les faire comme vous.
    Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.

    Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
    L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini, et Il vous tend de Sa puissance
    pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
    Que votre tension par la main de l’Archer soit pour la joie;
    Car de même qu’Il aime la flèche qui vole, Il aime l’arc qui est stable.

    (extrait du recueil Le Prophète)
    (sculpture de Gudmar Olovson)

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  4. Je crois que toutes les mères entrent en conflit avec leurs filles au moment de l’adolescence.
    La mère me paraît bien seule. Son chien et les oiseaux sont les seuls êtres vivants qui sont toujours là.
    Une chaîne et un diamant serait plutôt un cadeau fait par un amoureux, d’ailleurs quand l’amoureux lui offre un bijou de pacotille, ce dernier à plus d’importance pour la fille, que celui très cher offert par la maman.
    E

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  5. En même temps elle coupe un lien qui l’attachait à sa mère.
    Cette orchidée blanche représente sa fille, et elle en prend le plus grand soin, comme elle aimerait le faire pour son enfant.
    Elle associe la mauvaise santé de cette plante et « l’abandon » momentané par son enfant, mais l’espoir renaît grâce au rejeton plein de vigueur, sa fille reviendra, comme elle l’a toujours fait.
    La vie suit son cours, le petit chien et les oiseaux sont présents.

    J’ai fait une fausse manipulation et une partie de ma réponse est partie alors que je n’avais pas relu le texte. On y voit deux belles fautes de grammaire… une chaîne et un diamant serait… au lieu de seraient… tout comme le « à » plus d’importance au lieu de « a » sans accent…
    Je pense plus vite que je n’écris, je modifie mes phrases, oublie des mots et des accords ou rajoute des mots qui n’ont pas lieu d’être… ça c’est tout moi !

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